Thibaut Joliet est formateur au CFPPA (Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole) de Montmorot, dans le Jura. Il a également un pied dans la production puisque Marie, sa compagne, est installée comme productrice de plantes médicinales. Nous vous proposons ici de découvrir son parcours.
ARH : Qu’est-ce qui vous a amené à travailler dans les plantes ?
Thibaut Joliet : A la fin du lycée, je me suis présenté aux épreuves du bac S (scientifique) en 1998, que j’ai complètement loupé ; j’étais en échec scolaire. J’ai travaillé quelques mois pour faire un peu d’argent, et je suis parti en Afrique avec un copain. Je suis resté 2 ans au Sénégal. C’est là-bas que j’ai découvert le milieu des plantes, grâce à un tradi-praticien local. Il avait une approche nouvelle de la santé pour moi, non commerciale, qui changeait de celle de mon médecin en France. Les malades arrivaient chez lui avec un sac de riz, et repartaient lorsqu’ils étaient guéris. Puis plus d’argent, je rentre alors en France. Je trouve un travail en jardinerie. A nouveau, le lien avec les plantes et les personnes que je rencontre me poussent à m’y intéresser de plus près.
ARH : Donc c’est là que vous décidez de vous former ?
TB : Oui, comme je n’avais pas le bac, des dispositifs de formation me permettent de faire des stages dans des coopératives et chez des producteurs de plantes. En 2002, je cherche une formation, et je découvre sur internet les formations en herboristerie. Je m’inscris alors à l’ARH. Cette formation est à un prix abordable, et son fonctionnement à distance me permet de travailler en parallèle chez un producteur-cueilleur. Mais c’est dur de cumuler les deux, je fais déjà des grosses semaines chez le producteur. La deuxième année, je décide de me consacrer uniquement à la formation. C’était un peu une revanche pour moi, je voulais me prouver que j’étais capable de réussir une formation d’un certain niveau sans avoir le bac.
« Je suis l’un de ceux qui sont les plus avancés dans le parcours, grâce à la formation ARH et à mes expériences professionnelles dans les plantes. »
Au fur à mesure, je découvre que ce n’est pas seulement l’herboristerie qui me plait, mais aussi la production-cueillette. Je me forme alors au CFPPA de Montmorot en 2004, où je passe un BPREA (Brevet Professionnel Responsable d’Exploitation Agricole) en agriculture biologique, ainsi qu’un CS (Certificat de Spécialisation) « production et transformation de PPAM (Plantes à Parfum, Aromatiques et Médicinales) ». Je trouve cette formation super, avec des intervenants comme Hérody, Ducerf, Petiot… et la vie avec un groupe d’adultes aux parcours très différents. Je suis l’un de ceux qui sont les plus avancés dans le parcours, grâce à la formation ARH et à mes expériences professionnelles dans les plantes.
Je rencontre ma compagne, Marie, qui suit elle aussi la formation. Lorsqu’on termine, on se pose dans le Jura et on commence à produire, avec énormément de transformations ; on arrive sur le marché avec quasiment une quarantaine de produits différents. On a appris plein de choses, on veut tout faire ! Je prends le statut de cotisant solidaire. Puis le CFPPA vient me chercher pour intervenir dans la formation, et donner quelques cours. Je deviens également chargé de mission pour la réalisation d’un état des lieux de la filière PPAM en Franche-Comté.
« Ca marche très bien ! Nous avons appelé notre ferme l’herbier sous la Rochette«
ARH : Vous continuez à être producteur à côté ?
TB : C’est ma compagne qui s’installe en 2007, pour produire des légumes et des PPAM. Je l’aide sur un tiers de temps, le reste étant consacré au CFPPA, et à une structure de transformation de PPAM que je monte avec un copain. Mais c’était trop gros, on n’a fait que 2 ans et on a arrêté. Depuis 2012, je ne bosse plus au jardin, je retape une maison qu’on a achetée. Dès que j’aurai fini ma maison, je me (ré)installerai. Depuis 2014, on a arrêté les légumes, on ne fait plus que des plantes et des petits fruits. Nous sommes en bio, et utilisons la traction animale. Nous cultivons environ ½ hectare. En plus des plantes et petits fruits, nous faisons des plants au printemps : légumes, aromatiques, médicinales. Nous produisons 150 à 200 kg de plantes sèches par an. Nous les commercialisons en demi-gros sur des marchés de qualité (herboristerie) et en magasins, dont une Biocoop avec laquelle nous écoulons les ¾ de notre production. Les plantes sont présentées en mélanges, comme les céréales en vrac ; le client peut donc les voir, les sentir. Ca marche très bien ! Nous avons appelé notre ferme « L’herbier sous la Rochette ».
ARH : Quelles sont vos missions aujourd’hui au CFPPA?
TB : Je me suis recentré sur la formation, car la filière PPAM régionale est désormais assez structurée pour être autonome. Depuis 2013, je suis responsable du groupe PPAM du BPREA. Un 1er volet de mon travail est d’accompagner les porteurs de projets dans l’acquisition de compétences, depuis le 1er appel ou la 1re rencontre. L’idée est que les porteurs de projets sortent du BPREA avec un projet ficelé pour s’installer. Nous avons mis en place un système d’évaluation très performant, avec des mises en situations professionnelles. Je donne également des cours sur les transformations alimentaires, sur la culture des plantes (théorie et pratique), avec des visites d’exploitations, et sur le séchage, sujet sur lequel je me suis un peu spécialisé : on a une marge de progrès énorme sur ce plan là, car on doit parvenir à faire des feuilles vertes et des fleurs avec leur couleur d’origine, des plantes qui ont du goût. Et c’est souvent loin d’être le cas.
Chaque année, je vois passer une bonne trentaine de porteurs de projets PPAM, dont 50 à 60% s’installeront ou travailleront dans le secteur. Ce sont souvent des personnes qui ont des projets de vie, donc ce sont des parcours qui ne sont pas tout tracés. Moi aussi j’ai un peu bourlingué avant de trouver ma voie, et ça m’aide à accompagner ces gens-là.
« J’aime la pluri-activité, j’ai besoin que ça bouge. »
ARH : Vos activités d’enseignement et de production sont-elles complémentaires ?
TB : Oui, pour moi, un formateur ne peut être crédible que s’il a de la pratique ! C’est donc très complémentaire. Lorsque j’ai démarré mon activité de formateur, la formation ARH et la pratique professionnelle que j’avais acquise m’ont donné confiance pour le faire. Les connaissances de bases sont indispensables lorsqu’on enseigne, mais il faut également de la pratique, il faut être vrai, surtout avec un public d’adultes. Et puis j’aime la pluri-activité, j’ai besoin que ça bouge.
« Oui, même pour moi qui partais de zéro, ça m’a permis d’acquérir de bonnes connaissances. »
ARH : La formation ARH vous a-t-elle permis d’acquérir les connaissances nécessaires à votre activité ?
TB : Oui, même pour moi qui partais de zéro, ça m’a permis d’acquérir de bonnes connaissances. J’ai passé beaucoup de temps sur les monographies de plantes, c’est ce que je venais chercher. A l’époque, une seule semaine de stage était prévue. Ca a été génial, très bonne ambiance avec le groupe et des profs très intéressants.
« On doit donc travailler à sortir les plantes importées du marché et garder nos plantes locales de qualité… »
ARH : Avec votre double casquette de producteur et de formateur/accompagnant de projets d’installations en PPAM, pouvez-vous dire que c’est un secteur d’activités dans lequel il y a de l’avenir ?
TB : C’est un secteur très particulier, avec un contexte réglementaire difficile. Mais je ne suis pas du tout alarmiste : les réglementations font le yoyo concernant les plantes, et de toute façon on est légitime dans nos démarches. Après, il y a plein de métiers dans la production de PPAM : par exemple les PPAM en rotations de grandes cultures, pour des débouchés en gros. Ce modèle-là a encore une réalité aujourd’hui. Ou encore les PPAM en petites productions, avec transformation et vente directe. Il y a de la place, mais tous les candidats n’y parviendront pas. Il faut trouver ses produits, faire son réseau. Ca ne se fait pas du jour au lendemain, ça prend du temps et ce n’est pas évident. En même temps, ce sont généralement des installations avec peu d’investissements, ce n’est pas grave si on arrête après quelques années.
Aujourd’hui, la pluri-activité est une réalité du milieu agricole, et elle est porteuse, surtout dans des productions comme les PPAM. On peut être producteur de PPAM avec un autre atelier agricole, ou bien avec un autre métier, hors de l’agriculture. En tout cas, si on devait relocaliser l’ensemble de ce qui est consommé, il y aurait énormément de place. On doit donc travailler à sortir les plantes importées du marché et garder nos plantes locales de qualité…
Thibaut Joliet