La deuxième vie de Marie Dieudonné commence au cœur de l’Aveyron à quelques kilomètres de Laguiole : après avoir rénové un ancien corps de ferme pour y créer des chambres d’hôte, elle décide de produire et vendre ses produits à base de plantes.
Portrait d’une reconversion réussie.
ARH : Marie, comment vous êtes-vous orientée vers les plantes ?
Marie Dieudonné : Ça a été un petit peu un hasard. On a acheté un ancien corps de ferme à Laguiole, en 2009, avec pour objectif de faire un hébergement touristique, un gîte avec des chambres d’hôte. On a dû tout rénover. J’ai continué à travailler comme ingénieur, qui était mon travail précédent, et mon amie a démissionné de l’éducation nationale pour faire les travaux. On a ensuite ouvert le gîte en 2014. J’ai pour ma part continué à faire des allez-retours tous les week-ends : je faisais 1000 km par semaine. À un moment je me suis dit « Ce n’est plus possible, il va falloir que je trouve une autre solution. » Et un peu par hasard, en discutant avec différentes personnes, je me suis posé la question de faire de la culture, cueillette et transformation de plantes aromatiques et médicinales. J’ai toujours été attirée par le jardinage et par la nature et j’avais un intérêt pour les plantes. Ma première idée a été de me former au CFPPA de Montmorot mais je ne l’ai pas fait pour des raisons pratiques et d’organisation car ça me faisait repartir pendant un an à plein temps de chez moi : ce qui m’a amenée à chercher des formations par correspondance en herboristerie pour apprendre l’utilisation des plantes.
ARH : L’activité que vous avez créée avec « Les Uca’Folles Herbes » : des stages et de la vente de produits, a-t-elle pris du temps à se mettre en place ?
Marie Dieudonné : Je me suis inscrite à la formation à l’ARH début 2016.
La culture des plantes, l’activité, l’entreprise agricole a été créée mi-2017, pendant que je faisais ma formation en herboristerie. Je me suis lancée comme ça, j’ai mis les mains dedans. J’ai retourné un petit peu de terrain, j’ai commencé à cultiver et au début j’ai fait des produits pas forcément à visée médicinale mais plutôt culinaires parce que c’était plus facile à vendre : des confitures aux plantes, des tisanes, du thé d’Aubrac (Calament à grandes fleurs) qui est une plante qui pousse sur l’Aubrac et qui marche plutôt bien en plante sèche. Je vendais surtout aux hôtes de passage, puis j’ai commencé à faire les marchés et depuis un peu plus d’un an, je suis également présente dans quelques magasins bio ou de producteurs. L’activité grossit petit à petit.
ARH : Est-ce que la formation de l’ARH vous a concrètement aidé à mettre en place le projet ?
Marie Dieudonné : Oui, ça a apporté, forcément. Pas sur la partie production-cueillette, mais pour l’utilisation des plantes, les choix des plantes à cultiver ou à cueillir en fonction de leurs vertus et cela m’a appris aussi à apporter du conseil au public que je suis amenée à rencontrer. Cela permet d’avoir également une certaine légitimité/crédibilité vis-à-vis du public.
« En plus de la formation ARH, j’ai fait 2 formations courtes au CFPPA de Montmorot (production et transformation), et une formation en distillation au CFPPA de Nyons. »
ARH : Donc l’ARH était la première formation. Avez-vous suivi d’autres formations ?
Marie Dieudonné : L’ARH est une formation qui permet d’avoir des connaissances au niveau de la botanique et de l’utilisation des plantes. Faisant de la production, j’avais besoin d’avoir des connaissances de base en production, culture des plantes, et un peu de formation en transformation (séchage, cosmétique, alimentaire,…), pour éviter les « erreurs de débutants » même si on fait quand même des erreurs quand on débute… Donc j’ai fait 2 formations courtes au CFPPA de Montmorot (production et transformation), et une formation en distillation au CFPPA de Nyons.
ARH : Comment se passe le quotidien à la ferme ?
Marie Dieudonné : En hiver c’est plus calme, même si il y a toujours des choses à faire (ensachage, embouteillage, préparation de la future saison,…), le gros de la saison c’est avril-mai, jusqu’à fin septembre.
Évidemment on dépend un peu de la météo chez nous, parce qu’on est sur un climat de montagne, et il arrive qu’il y ait de la neige encore au mois de mai. Typiquement en début de saison, je dois préparer les semis, les plantes, la terre, et désherber toutes les parcelles dès qu’il fait un peu beau, un peu sec, que la Terre est réssuyée, et une fois que tout cela est fait, au printemps il y a beaucoup de cueillettes sauvages, plus pour des applications culinaires (comme pour l’ail des ours par exemple) mais pas que, il y a aussi la primevère, le lierre terrestre… et puis après, sur la période de juin-juillet-août le travail se fait à l’extérieur : les plantations, la culture, la cueillette sauvage, commencer les récoltes, commencer les transformations, avec le séchage, la fabrication des sirops, les distillations… Et puis, en parallèle, il faut faire les marchés pour vendre les produits.
Concernant le séchage, au début je faisais mon séchage sur des claies dans un endroit ventilé, et récemment j’ai aménagé une des pièces de la maison en séchoir pour augmenter ma capacité de séchage. Il y a toujours le séchoir avec les claies, mais j’y ai ajouté un déshumidificateur et des ventilateurs, pour sécher un petit peu plus rapidement, ce qui fait que je peux amener plus de plantes au séchoir. On est en train d’aménager un bâtiment qui sera dédié aux plantes, dans lequel il y aura un séchoir-armoire fermé.
Je fais aussi un petit peu de gemmothérapie. J’alterne toutes ces activités avec la vente sur les marchés de pays et les marchés de producteurs : je fais 2 marchés par semaine, et aussi des marchés événementiels, sur les fêtes de village : les journées sont bien remplies, on ne s’ennuie pas et on a l’avantage d’être au grand air !
« je cultive également des petits fruits classiques ou un peu oubliés (cassis, groseilles, camerisiers, amélanchiers, argousiers), ce qui permet de diversifier un peu la production. »
ARH : Quelle est la surface de vos cultures ?
Marie Dieudonné : Au niveau du terrain on est à 7000 m², mais tout n’est pas exploité pour les plantes, il y a 500 m² de cultures à peu près. les plantes cultivées sont assez variées, il y a tout ce qui est classique : mélisse, menthe, échinacées, bleuets, calendulas, sauge… (Liste des plantes complète) Nous avons également planté un petit verger peu de temps après être arrivées, avec pommier, poirier, prunier … et je cultive également des petits fruits classiques ou un peu oubliés (cassis, groseilles, camerisiers, amélanchiers, argousiers), ce qui permet de diversifier un peu la production.
ARH : Quelles sont vos produits à la vente ?
Marie Dieudonné : Tisanes, hydrolats, macérations solaires, des huiles et des vinaigres aromatisés… Je fais aussi des gomasios (graines de sésame torréfiées avec un peu de sel et des plantes), des sirops, des confits de fleurs, des confitures de fruits aromatisées aux plantes, et ce printemps j’ai commencé à faire de la gemmothérapie et des teintures mères. L’idée pour moi est d’essayer de développer des produits à visée médicinale, parce que j’ai fait la formation de l’ARH, et que je suis en train de faire une formation de naturopathe. Remettre les plantes dans le quotidien des gens, leur réapprendre à les utiliser à bon escient et à prendre soin de leur santé. Tout en gardant une petite base de produits d’appel, alimentaires.
ARH : Cette envie de vous former à la naturopathie est venue naturellement ?
Marie Dieudonné : Elle est venue par des rencontres et les choses de la vie, dans le cadre de l’ARH j’ai rencontré Nathalie Ruiz-Sialve qui est formatrice à l’ARH et naturopathe, avec qui j’ai pas mal discuté, j’ai d’ailleurs fait mon stage chez elle et ça m’a donné envie de faire une formation. Je trouve les deux activités très complémentaires (herboristerie et naturopathie).
ARH : Comment procédez-vous pour votre communication, pour parler de vos produits, de vos stages ?
Marie Dieudonné : C’est relativement simple, j’organise des ateliers lors des stages qui se passent dans la partie hébergement : stages de yoga, de Qi Gong, des choses comme ça… Je fais aussi des ateliers de cosmétique, de cuisine sauvage…Pour les stages 100% plantes, je vais essayer d’en lancer en 2020 et la communication se fera par les réseaux sociaux et le site internet du gîte.
Au niveau de la communication, j’ai une page Facebook pour le moment, qui me permet de diffuser des infos, mais je vais réaliser un site internet cet hiver, pour communiquer un petit peu plus et faire un peu de vente à distance éventuellement. Ça permettra de mieux communiquer qu’une page Facebook, car Facebook me permet de passer des flashes par-ci par-là, or le site Internet permet d’aller un petit peu plus loin sur la description des produits, sur la description de notre façon de cultiver. (Je suis labellisée « Nature et progrès ». ) J’ai aussi des flyers, que je mets à disposition quand je fais des marchés, et qui sont distribués dans les magasins où il y a mes produits. Enfin il y a le bouche-à-oreille.
« Cela permet d’échanger avec des gens très variés : des cultivateurs de plantes, des éleveurs, des maraîchers, des brasseurs, des apiculteurs… »
ARH : Pouvez-vous nous parler du label « Nature et Progrès » ?
Marie Dieudonné : Ce n’est pas un label mais une mention. « Nature et Progrès » a été créée en 1964, et qui est à l’origine du bio.
Les cahiers des charges « Nature et Progrès » ont donné naissance aux cahiers des charges du bio. (Agriculture AB). En 1993 il y a eu une scission, le bio a voulu évoluer et « Nature et Progrès »est resté sur ses cahiers de charges initiaux d’agro-écologie paysanne. C’est une mention qui englobe la question des cultures, l’absence de pesticides, le bien-être animal, et qui prend en considération l’intégralité de la ferme : les sources d’énergie, l’eau, la gestion des déchets, l’utilisation de produits de nettoyage, les emballages, etc. La mention prône aussi le local, le circuit court. Ça va plus loin que le bio. Pour obtenir la mention, il faut la validation de la COMAC fédérale suite à la visite de contrôle d’autres producteurs adhérents à « Nature et Progrès » et de consommateurs adhérents également à l’association, c’est ce qu’on appelle un Système Participatif de Garantie : les gens qui font partie de l’association « Nature et Progrès » valident la bonne pratique des producteurs. Nous, en tant que producteurs certifiés, on va auditer d’autres producteurs. Cela permet d’échanger avec des gens très variés : des cultivateurs de plantes, des éleveurs, des maraîchers, des brasseurs, des apiculteurs… Les échanges sont très intéressants au niveau des pratiques agricoles, mais aussi sur d’autres sujets.
ARH : Aujourd’hui quel regard portez-vous sur votre création d’activité ? Vous êtes partie de zéro, il y a eu un important changement de cap professionnel.
Marie Dieudonné : Eh bien ça s’est plutôt bien passé, je suis assez contente des choix que j’ai faits, je suis contente de ne pas être retournée faire des études dans un CFPPA. En fait je me suis formée un petit peu sur le tas, et j’ai complété par des formations courtes, pour la partie production, culture. Je suis contente d’avoir fait la formation en herboristerie à l’ARH, pour tout un tas de raisons, elle m’a permis d’apprendre, d’acquérir des connaissances, et de pouvoir aller chercher les infos à droite à gauche, d’être plus en confiance et d’avoir plus de légitimité vis-à-vis des gens qu’on peut rencontrer sur les marchés ou en vente directe. La création de l’entreprise se fait de façon progressive, je n’ai eu aucune pression quelle qu’elle soit, (par exemple de la chambre d’agriculture), et aujourd’hui ça se développe plutôt pas mal.
Ça me permet d’évoluer, de faire évoluer les choses progressivement.
ARH : Comment est perçue votre activité par votre entourage ?
Marie Dieudonné : Plutôt bien, je pense. Mais c’est un ensemble, pas seulement une activité, on a la partie hébergement, où on a inclus la partie culture de plantes aromatiques et médicinales et plus tard viendra la naturopathie, donc forcément il y a une vision plus globale que des activités uniquement liées à l’herboristerie. Avec les soins cela fera un ensemble d’activités cohérent. L’idée, c’est quand même le retour à la terre, le retour à des choses plus simples, à la nature.
ARH : Il est donc possible de vivre de son activité en rapport avec les plantes ?
Marie Dieudonné : Tout à fait, mais ce n’est pas forcément simple. Il y a des choses auquel il faut se confronter : trouver les gens qui achètent, étudier le marché… La région de l’Aubrac n’est pas très développée par rapport à tout cela, et les quelques producteurs ici sont déjà en place dans les magasins où ils sont distribués, du coup en tant que nouveau producteur de plantes aromatiques et médicinales, c’est difficile de pénétrer dans ces magasins-là. Il faut donc essayer de trouver des choses qui permettent de faire la différence et aller de l’avant : on doit être créatif, un peu original. Mais oui, bien sûr, je pense que c’est viable. Pour ma part, comme je l’ai dit, je vais compléter mes activités actuelles par une autre activité qui est la naturopathie, donc pour le moment je ne mets pas tous mes œufs dans le même panier : je fais en sorte de me diversifier.
ARH : Merci beaucoup Marie.