C’est en 2018 que Laetitia Hespel a fait le choix d’une reconversion comme cueilleuse de plantes sauvages et médicinales et productrice en bio sur les terres de son enfance à Alex, en Haute-Savoie.
La formation à l’IFH l’y a aidée.
Si au fil des saisons, elle cultive la diversité dans ses métiers ; la production, la cueillette, le séchage, la fabrication, l’animation, il n’ y a qu’un seul trait d’union, le bien-être, prendre soin et créer du lien avec les plantes.
ARH : Laetitia, comment vous êtes-vous orientée vers les plantes ?
Laetitia Hespel : Cela date de mon enfance. Depuis toute petite j’ai une affinité avec les plantes. J’ai grandi à 5 km d’ici où je passais mon temps libre dans le jardin ou dans la forêt du Mont Veyrier à construire des cabanes avec mes frères. Mon père a été aussi fleuriste à Annecy-le-Vieux, nous avions souvent des fleurs à la maison. Je me souviens d’avoir participé à la confection de ses bouquets de muguet pour le 1er mai. Chez ma grand mère paternelle, j’adorais ramasser les petits fruits pour les confitures, je fabriquais des parfums de roses, des petites tambouilles, des potions magiques… nous allions souvent en montagne glaner framboises et myrtilles. Une enfance buissonnière au grand air.
Après des études en communications à Lyon, je suis partie un an en Asie, 6 ans au Canada, où j’ai travaillé au cirque du soleil au département responsabilité sociale, en communications en Éducation à l’environnement puis dans un spa nordique en plein air sur des hectares de foret. Je suis revenue dans les Alpes en 2013 à la naissance de mon dernier. J’ai alors profité de mes trois enfants. En 2016, j’ai rencontré Aurore Métral, chef d’exploitation du Domaine Clarins, un alpage situé à 1400 m d’altitude à Serraval, en Haute-Savoie, sous le refuge du Praz Dzeures. J’ai rejoins l’équipe en saison (jusqu’en 2020) J’y ai rencontré un ancien de l’ARH, l’ethnobotaniste de la marque, Jean Pierre Nicolas. Aurore, et Jean-Pierre, deux passionnés par leur métier, deux rencontres fortes qui m’ont donné l’envie de découvrir l’univers des plantes. Le choix de l’ARH s’est alors imposé pour une formation de 2 ans.
J’ai alors suivi des modules techniques agricoles pendant que je suivais ma formation à l’ARH.
Le Domaine Clarins avait le projet de développer une filière de producteurs en Haute-Savoie. J’étais salariée mais l’aventure de devenir fournisseur me tentait. J’ai alors suivi des modules techniques agricoles pendant que je suivais ma formation à l’ARH et je commençais à planter un verger en 2018.
En 2019, je recevais mes premiers plants et je m’installais sur une parcelle attenante à ma maison, une forêt et un terrain en pente et argileux qui n’accueillait qu’aubépines et ronces. Il a fallu très rapidement monter en compétences, tout apprendre, à manier la tronçonneuse, la scie sauteuse, gérer la plantation, construire le séchoir, fabriquer mes claies, gérer la paperasse, la certif bio.
3 ans plus tard, je réalise tout le travail accompli, d’avoir créé cet écosystème et mon emploi. J’ai une gratitude infinie pour tous ceux qui m’ont soutenue, entre autres mon voisin Jo (encore une belle rencontre) qui m’a encouragé depuis le début, le meilleur des professeurs !
Aujourd’hui, le jardin se dessine, un verger, des petits fruits, des médicinales, des ruches. 2 hectares certifiés bio, près de 1500 m2 en production PAM, et le reste en cueillette sauvage.
Cet éco système autour du bien-être et de la nature accueille aujourd’hui plusieurs activités, la culture d’une trentaine de plantes aromatiques et médicinales cultivées en bio ou récoltées en montagne, à destination de l’herboristerie et de la cosmétique, un séchoir et un atelier pour la fabrication d’infusions et savons et des animations autour des plantes (entreprises/adultes/enfants)
Les activités se répartissent sur l’année, le jardin de mai à octobre, la fabrication et les animations de novembre à avril.
Travailler principalement sur commande, m’assure de cueillir uniquement ce dont j’ai besoin et de préserver ma ressource. Cela m’évite aussi les marchés et foires que nécessite la vente directe. J’essaye ainsi de garder du temps pour mes trois enfants.
ARH : Que vous ont apporté les diverses formations, concrètement ?
L’ARH m’a apporté les fondamentaux, la chimie, la botanique, la physiologie, l’herboristerie, les différentes formes galéniques. Les formations en CFPPA (Centre de formation professionnelle et de promotion agricole) m’ont apporté une complémentarité dans la formation, il y avait le travail de fond avec l’herboristerie, et le côté technique/terrain avec la formation agricole.
Un module en cueillette sauvage avec Thierry Thévenin Au CFPPA de Nyons, un module en séchage et en production PAM avec Thibaut Joliet au CFPPA de Montmorot. J’ai rencontré aussi par la suite une dizaine de producteurs proches de chez moi dans les Bauges, également en Bretagne, en Normandie, et à Poitiers, les producteurs de “Autour des plantes”, qui font de la transformation, de la cosmétique, du savon. Ces échanges avec les producteurs déjà installés m’ont beaucoup éclairée. Ces rencontres sont nécessaires avant de commencer son projet, c’est l’occasion de nombreux apprentissages grâce à l’expérience des « anciens ».
ARH : Comment se déroule la démarche pour obtenir la certification bio ?
Pour les cultures, ll faut certifier le terrain avant le premier coup de bêche. Le constat de friche est ainsi fait. L’auditeur constate que la parcelle n’est pas polluée, qu’elle n’a pas été travaillée, retournée, labourée, pâturée. Par la suite, il revient une ou deux fois par an pour vérifier nos factures, nos achats, nos fournisseurs, nos intrants.
Au niveau de la cueillette sauvage c’est un peu plus long. Ecocert m’audite chaque année pour s’assurer de la santé des sites de cueillettes, et pour relever les numéros de parcelles et les autorisations des propriétaires.
Je travaille exclusivement à la main en utilisant le sécateur, le doigt ou la faucille.
Pour chaque plante, je recherche son biotope, le type de sol qu’elle affectionne, l’exposition, l’altitude qu’elle préfère. Je la conserve en herbier, j’apprends à la connaître. J’aime aussi retrouver des usages populaires, différents noms vernaculaires qui m’en disent long sur son histoire et sa relation avec les Hommes.
Après des repérages sur cartes, je pars sur le terrain à la recherche de la belle station, celle où la plante abonde, où je sais que je ne mettrais pas en péril ni l’espèce ni sa reproduction. Mes sites de cueillettes se situent généralement entre 600 et 1800m d’altitude entre la Savoie et la Haute-savoie sur les massifs des Bauges, Bornes, Aravis, Beaufortain, Haute-tarentaise.
Je frappe ensuite aux portes, de fermes en fermes pour retrouver le dit propriétaire de la parcelle convoitée. C’est souvent l’occasion de belles rencontres et d’échanges autour d’un café. Toutes les terres de France ont un propriétaire, qu’il soit public ou privé et je me dois de lui remettre une autorisation de cueillette que ce soit un particulier, un exploitant agricole, une commune ou bien l’Office National des Forêts. Je vérifie aussi que le site ne fait état d’aucune réglementation ou protection.
Je respecte en plus le cahier des charges de l’Association française des cueilleurs professionnels. La plante est cueillie par temps sec, le matin, je travaille exclusivement à la main en utilisant le sécateur, le doigt ou la faucille.
ARH : Faites-vous des animations, des ateliers ?
Je propose des visites de mon jardin et du séchoir, des ateliers d’herboristerie et de saponification à froid d’octobre à avril. J’ai proposé quelques animations pour des entreprises lors de teambuiding ou pour des EVJF (Enterrement de vie de jeune fille).
L’automne dernier, j’ai accueilli des lycéens « STAV » (Sciences et Technologies de l’Agronomie et du Vivant) Au programme : visite du jardin du séchoir, présentation des herbiers, jeux de reconnaissance, goûter fleuri, Tous sont repartis avec l’envie de faire un herbier de leur environnement. Mission réussie ! Transmettre me nourrit beaucoup et j’aimerais développer des animations en école primaire et secondaire pour faire connaître à la fois mon métier et les plantes de notre territoire, un vrai patrimoine végétal qui n’est pas assez mis en valeur.
J’accueille aussi plusieurs fois par an des stagiaires en BPREA PPAM (Brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole en PPAM) ou en BTS GPN (gestion et protection de la nature) du CFFM (Centre de Formation aux Métiers de la Montagne) de Thônes.
ARH : En dehors de votre métier de productrice, utilisez-vous les plantes personnellement (cuisine, médecine) ?
J’utilise les plantes dans mes loisirs, en vannerie avec mes enfants par exemple. Je les utilise aussi en cuisine, condiments, confitures, pesto, salade, légumes cuits), en vin (le vin de mai avec l’aspérule odorante ou la sapinette avec le sapin).
Je fais aussi quelques préparations pour les petits tracas du quotidien, un sirop de tussilage pour ta toux, une tisane de cynorrhodon pour se préparer à l’hiver, un baume calendula avec de l’achillée millefeuille pour les petites coupures, une huile d’arnica pour les courbatures ou de millepertuis pour les peaux abimées, quelques huiles essentielles seulement comme conservateur, pour une action précise comme celle de sarriette après une morsure de tique.
ARH : Comment communiquez-vous pour vos activités ?
Je communique uniquement par le bouche à oreille et les réseaux sociaux.
Les gens sont en quête de sens, de contact avec la nature et recherchent à la fois du conseil et des produits d’herboristerie de qualité.
ARH : Est-ce que les métiers en lien avec les plantes ont de l’avenir ?
Il y a clairement un regain d’intérêt pour les plantes médicinales, les plantes comestibles chez les particuliers comme chez les professionnels. Les gens sont en quête de sens, de contact avec la nature et recherchent à la fois du conseil et des produits d’herboristerie de qualité. Il y a aussi toutes les industries qui s’approvisionnent en plantes et qui entreprennent des démarches responsables pour sourcer en France, en local, que ce soit les restaurants, chocolatiers, fleuristes, l’industrie cosmétique, les herboristeries, les laboratoires de recherche, la phytothérapie, la parfumerie, la gemmothérapie, l’homéopathie, mais aussi l’industrie textile pour les plantes tinctoriales, la teinture végétale, le milieu artistique pour les pigments, l’animation ,la formation…. Les débouchés sont nombreux.
Il faut souligner qu’en France la filière Plantes Aromatiques et Médicinales est très récente par rapport à d’autres filières agricoles.
ARH : Avez-vous d’autres choses à ajouter ou à préciser ?
Pour ceux qui veulent se lancer :
- Démarrez petit, mais démarrez.
- Créez vos débouchés avant de commencer.
- Diversifiez vos activités pour assurer une stabilité et pérennité du projet.
- Rencontrez les acteurs de votre territoire.
- Faites ce que vous aimez, faites-vous confiance !
ARH : Merci beaucoup Laetitia.