Ancien chimiste dans l’industrie, Alban Saunier a choisi une nouvelle voie professionnelle dans laquelle il trouverait du sens, et après s’être solidement formé à l’agriculture et aux plantes, s’est jeté corps et âme dans son nouveau métier de producteur en Basse-Ardèche. Dix ans après ses débuts de producteur de PAM, son courage, son enthousiasme et son envie de partage des savoirs forcent le respect.
ARH-IFH : Bonjour Alban, quelle formation avez-vous suivi ?
Alban Saunier : J’ai obtenu un DUT chimie en 2003 puis j’ai travaillé plusieurs années comme chimiste.
En 2009-2011, j’ai suivi la formation d’herboriste à l’IFH.
Ensuite j’ai passé un BPREA à Nyons avec comme spécialité « Plantes aromatiques et médicinales » en 2013. Entre-temps, j’avais suivi plusieurs petites formations non diplômantes, qui m’ont permis d’acquérir des connaissances en agronomie, en transformations, en macérats huileux et en distillation… des formations que j’ai faites avant 2013, par curiosité, sans idée initiale d’enrichir un projet professionnel. J’avais quand même projeté de récupérer un bout de terrain en région lyonnaise. Pour faire mes produits tout seul, mais sans avoir forcément une vision professionnelle de la chose, et surtout dans les territoires des Cévennes et de basse Ardèche. Il y avait des formations à Terre & Humanisme en Sud Ardèche. Et dans les Cévennes à Sainte-Croix-Vallée-Française pour les distillations et les macérâts huileux.
Êtes-vous ardéchois d’origine ?
Mes parents sont ardéchois. Dès qu’ils ont passé leur diplôme, ils ont quitté l’Ardèche et sont partis en ville, comme beaucoup de gens dans les années 60. Mon frère et moi sommes donc nés en région parisienne. Ensuite mes parents se sont installés à Lyon pour pouvoir se rapprocher de l’Ardèche. Mon frère n’a pas supporté la ville et il est vite allé vivre en Ardèche ce qui fait qu’on descendait tous les week-ends et que l’on passait toutes nos vacances en Ardèche, soit chez les grands-parents soit chez nous. Il y a une attache affective mais personnellement je ne me considère pas comme ardéchois. Sur le territoire il n’y a plus beaucoup d’ »archéos » : les gens du cru, les derniers anciens. Ils sont en train de passer l’arme à gauche et entre nous, les « néos » et eux, il y a une génération qui manque. Avec les anciens beaucoup de savoirs disparaissent. Je parle de ça, car cela fera sûrement le lien avec ce que je fais actuellement , par rapport à la transmission de savoirs et de savoir-faire.
Pourquoi cet intérêt pour les plantes, après une carrière de chimiste ?
Je me suis fait la réflexion suivante : même avec un regard très technique ou scientifique, on ne peut que se rendre compte du potentiel incroyable des usines naturelles qui sont dans la nature. Les plantes sont capables de proposer quantité de soins ! Donc pourquoi essayer de reproduire la Nature et la spolier ? La meilleure usine de production d’énergie, c’est la photosynthèse, c’est ce que j’avais d’ailleurs écrit dans un petit speech, le jour de mon départ de mon travail de chimiste. On ne pourra jamais faire mieux qu’une mitochondrie ! J’ai vraiment voulu trouver du sens. Un autre élément déclencheur a été l’arrivée de notre premier enfant.
Avoir une réflexion sur tout cela, et en faire un métier, il y a quand même un pas à franchir !
Oui tout à fait ! Je gagnais très bien ma vie comme chimiste au sein de cette entreprise, je ne travaillais pas beaucoup… mais ce que je faisais, encore une fois, n’avait pas beaucoup de sens !
Pour prendre un exemple très parlant, mon dernier emploi dans la chimie était d’évaluer si des nouveaux puits de carburants étaient ou non valorisables. Dans mon labo je voyais donc arriver des pétroles bruts d’Iran, d’Irak, du Venezuela, des pays déstabilisés à cause du pétrole : donc c’était presque immoral… bien sûr il y avait de la nourriture intellectuelle dans ce métier, mais ça n’avait pas vraiment de sens moral… d’où ce tiraillement intérieur : qu’est-ce que je présente à mes enfants ? Est-ce que j’ai envie de passer 40 ans à exercer un métier qui n’a pas de sens ? Je voulais à tout prix garder une accroche avec ce territoire rural… En passant des vacances avec mon grand-père, qui était un paysan en polycultures (il ne restait alors plus trop d’élevage, mais lui avait connu l’Ardèche avec des troupeaux) … je retrouvais cet amour du territoire, qui n’est pas un territoire simple en fait, qui ressemble à Chalencon : un paysage de pentes, de moyenne montagne, il n’y pas d’eau, les sols sont très secs, ce qui oblige le paysan à savoir tout faire, et c’est ça que je trouve passionnant !
Avec les cours de l’IFH j’ai découvert des univers que je ne connaissais pas du tout, car même si j’ai une formation scientifique […] je n’avais jamais fait de botanique, ou de physiologie végétale à ce point-là…
Pour revenir à la formation IFH, qu’est-ce qui a motivé ce choix de cette formation ?
À l’époque je vivais à Lyon. J’arrive assez bien à travailler tout seul, et avec l’IFH il y avait la liberté de faire ça à la maison ! Il y avait bien l’ELPM à Lyon, mais ça m’aurait pris tous mes samedis matin, et cela m’embêtait beaucoup. Je préférais avoir la liberté de travailler à la maison, en choisissant mes horaires. C’est un peu ça qui m’a déterminé, cette possibilité de travailler à distance ! du coup avec les cours de l’IFH j’ai découvert des univers que je ne connaissais pas du tout, car même si j’ai une formation scientifique (j’ai fait un peu d’anatomie, de SVT, des choses comme ça) je n’avais jamais fait de botanique, ou de physiologie végétale à ce point-là, et il y avait aussi les cours de pharmacognosie : un énorme truc ! Mais cela faisait le lien avec mes compétences de chimiste, et s’imaginer dans la nature avec les différents processus qui permettent de comprendre comment atteindre telle ou telle molécule, et le meilleur moyen de l’extraire, ça me correspondait bien.
La liberté de pouvoir rendre mes devoirs à distance, et donc travailler et m’organiser à ma guise, j’aime bien ça. C’est aussi ce que j’aime dans ce métier actuellement, c’est que j’ai une forme de liberté, alors, bien sûr il y a beaucoup de travail, mais c’est moi seul qui décide.
Ouverture d’espaces en vue de cultures méditerranéennes sur terrasses/ Helichrysum Italicum/ Anthemis nobilis
Effectivement, cela a dû être un gros changement par rapport à votre travail salarié, je suppose ?
Oui, tout à fait. Même si on m’avait laissé petit à petit des responsabilités, cela n’a rien à voir.
Et donc on en vient à votre activité aujourd’hui. Depuis combien de temps êtes-vous installé comme producteur ?
Cela fait exactement 10 ans. Il y a quelque chose qui est en train de se passer en ce moment : au bout de 10 ans, ça y est, il y a des choses qui sont acquises, et tout l’enjeu a été de réapprendre des choses : en fait il y a la formation théorique, on apprend à tenir une entreprise, à anticiper, à faire sa comptabilité, etc. Mais le terrain, le savoir-faire, avant qu’on ne l’assimile vraiment, dans son corps, etc, il faut bien 10 ans.
Pourriez-vous nous présenter votre exploitation, votre activité ?
Actuellement c’est 100% végétal, une partie plantes aromatiques et médicinales, avec une trentaine de plantes cultivées, et une dizaine cueillies. Ces plantes sont destinées à être transformées. On est sur une base de distillation : hydrolats, un peu d’huiles essentielles pour les plantes qui en ont, beaucoup de plantes sèches : une gamme de simples et une gamme de tisanes composées et aussi des sirops et des confitures aromatisées. En fruits il y a les châtaignes qui représentent une grosse partie de la structure avec comme finalité de la crème de marrons, de la farine, des fruits secs et des fruits frais (qui eux sont vendus en direct). Les oliviers, pour l’huile d’olive uniquement. Quand je taille mes oliviers je ramasse beaucoup de feuilles sèches d’olivier, c’est un grand moment dans la saison. Et puis je plante chaque année divers fruitiers : pommes, abricots, prunes, pêches, kiwaïs, argousiers, coings, cassis, des choses comme ça. L’idée, c’est d’avoir une vraie autonomie vivrière quand même. Si je peux valoriser en transformant c’est parfait, mais l’objectif premier c’est d’arriver à anticiper ce qu’on se prend en plein dans la tronche en terme de changement climatique. En fait ces ateliers-là s’enchaînent dans la saison, c’est à dire qu’à partir du printemps je vais me consacrer aux plantes aromatiques et médicinales, je vais aussi retourner quelques fois dans mes différents vergers pour tailler, greffer, entretenir… ça ne me prend pas beaucoup de temps. À partir de fin août j’ai terminé mes plantes aromatiques et médicinales avec quelques cueillettes, et juste après je nettoie les châtaigneraies, je place les filets (car je ramasse sur filet). Dès que les châtaignes sont terminées, les filets vont dans les oliveraies, je ramasse les olives et ça se termine mi-décembre. De décembre à février-mars j’entretiens mes forêts : je plante des arbres, j’élague, je remonte aussi beaucoup de murettes. Je fais mes transformations alimentaires, celles qui attendaient au congélateur.
C’est une agronomie traditionnelle du bassin méditerranéen, de l’agroforesterie : […] On redécouvre cela, mais ça existe depuis 2000 ans.
Et au niveau de la surface ?
Pour les plantes aromatiques et médicinales on est à peu près sur 2500 m2 transformés, j’ai aussi un bloc de 4000 m2 d’hamamélis sur un ancien pré plein nord un peu en hauteur, et comme il est assez éloigné, je ne voulais pas mettre des choses qui demandent beaucoup d’attention. Concernant les vergers il y a 2,5 Ha de châtaigniers, 1 Ha d’oliviers et un Ha de « reste ». En fait je cultive en terrasses avec ce qu’on appelle des « arbres de plein vent », c’est à dire qu’au milieu de mes cultures je place mes arbres fruitiers pour faire de l’ombre, afin d’avoir des horizons racinaires différents. On ne peut pas vraiment dire « il y a 2000 m2 d’abricotiers », car les arbres sont au milieu des cultures.
C’est une agronomie traditionnelle du bassin méditerranéen, de l’agroforesterie : comme l’espace n’était pas très grand sur ces terrasses et qu’il n’y avait pas beaucoup d’eau, il y a toujours eu des vignes en bout de terrasse, des oliviers, des châtaigniers ou des mûriers, et on se servait de l’ombre pour faire des cultures dessous. On redécouvre cela, mais ça existe depuis 2000 ans.
…On incite les agriculteurs, formés à l’animation, et qui utilisent des supports pédagogiques existant sur leur ferme, à immerger le grand public, à le sensibiliser aux démarches qui sont les nôtres, qui ont du sens.
J’ai une autre activité, qui prolonge mon activité agricole : l’animation. Mon idée et de pouvoir recréer ce chaînon manquant sur notre territoire, ce savoir et ce savoir-faire. Je suis administrateur CIVAM. L’objectif des CIVAM est de valoriser le milieu rural et agricole. Donc il y a un aspect culturel, artisanat. La grosse vitrine du CIVAM c’est l’opération « De ferme en ferme », ce week-end où l’on ouvre les fermes, où les gens peuvent venir. Mais on fait bien d’autres choses : par exemple du glanage social, chez des arboriculteurs ou chez des maraîchers, parce qu’il y a un moment où cela devient trop coûteux de ramasser les derniers fruits, le « cannage », et d’un autre côté, on a une partie de la population qui n’a pas accès à des légumes ou fruits de qualité parce que c’est trop cher, donc on organise des journées avec le Secours Populaire ou le Secours Catholique, on va aller glaner, quitte à aller même jusqu’à la transformation, pour que cette population ait des conserves. On a différents axes de travail, par exemple la place des femmes dans l’agriculture. Là où je suis vraiment administrateur, c’est sur l’accueil pédagogique. Quand je dis pédagogique, ça ne signifie pas que cela s’adresse uniquement aux enfants. On a tellement mis la ferme en dehors de la vie, que les gens ne connaissent plus les bases du travail de la terre : donc plutôt que d’ouvrir les fermes et de faire une présentation de 20 minutes, on incite les agriculteurs, formés à l’animation, et qui utilisent des supports pédagogiques existant sur leur ferme, à immerger le grand public, à le sensibiliser aux démarches qui sont les nôtres, qui ont du sens. En ce moment, on monte un projet avec un public handicapé, l’idée est que ce ne soit pas juste un paysan qui parle et les gens qui écoutent, mais bien une immersion dans le monde paysan, et une meilleure manière de les toucher, les sensibiliser. On commence vraiment à avoir une beau réseau de fermes sur le département, qui s’appelle « En vie de Ferme ». Maintenant cela s’est ouvert sur la vallée du Rhône et le Nord Ardèche. C’est vraiment super. C’est un projet qui a été initié il y a deux ans et qui avance bien.
Avec le recul, comment s’est passée la création d’activité ? Vos débuts de producteur ?
J’ai eu la chance d’avoir accès à du foncier. Comme je l’ai dit, mon grand-père était paysan ici. Donc ça, c’était important. J’avais déjà quelques outils, j’avais de l’argent de côté, ce qui n’est pas négligeable. Franchement, au début, je ne me rendais pas compte, et c’est tant mieux, de la quantité d’énergie que cela allait me demander. Je me suis investi corps et âme. C’est-à-dire que les cinq premières années j’ai fait très peu de choses, à part m’occuper de mes terrains, parce que mine de rien, le grand-père, cela faisait 15 ou 20 ans qu’il n’avait pas pu entretenir certaines zones. Et le travail de défrichage : oui, mais comment, pourquoi ? Est-ce que cela a du sens de couper ceci ou cela ? Tout cela m’a pris beaucoup de temps, de réflexion et d’énergie. Mais depuis 10 ans, ça y est, j’ai de nouveau du temps pour moi, pour autre chose, et donc c’est génial. Je dois quand même préciser que cette activité, clairement, n’est pas compatible avec un mode de vie « consommateur ». Fatalement, il faudra diminuer ses besoins. J’ai des collègues qui se sont installés à peu près en même tant que moi. Mais en fait ils n’étaient pas prêts à ne pas aller faire la fête en ville le week-end. Oui, cela demande un investissement corps et âme. Et ce que je disais, c’est qu’au bout de 10 ans, le rythme s’est imprimé, c’est bien ! et une fois que j’ai fait mes preuves sur le territoire, beaucoup de choses se sont déclenchées, qui m’ont « facilité » la tâche : j’ai trouvé des meilleurs terrains, des meilleures parcelles, etc. C’est cool. Mais il faut vraiment avoir la niaque !
Élagage de châtaigniers / Broyage de bois suite à la reconquête de vergers de châtaigniers
Avez-vous eu besoin d’aide ? Travaillez-vous tout seul ?
Sur ma structure même, je travaille seul. Deux ou trois fois dans l’année, je peux demander des coups de main, par exemple pour plier les filets à châtaignes, parce que cela prend beaucoup de temps, il ne faut pas laisser traîner les filets, qui peuvent s’abîmer. Après, et c’est rigolo, la famille peut venir aider aussi ! Ça faisait vraiment plaisir à ma mère de venir m’aider, parce que le terrain était celui de son père, c’est chouette ! Elle ne pouvait pas non plus fournir une énergie folle, mais elle m’apportait le café, ce genre de choses très appréciables. Et mon père m’a bien aidé aussi, il a pris des photos, il a fait le site web, il s’est occupé des étiquettes, c’était super, parce que moi je n’ai pas du tout ces compétences-là, et donc chacun a mis un peu du sien selon ses talents. Par contre, sur le travail agricole, je suis vraiment tout seul. Mais je fais beaucoup de travail en collectif sur « l’après » c’est à dire que je fais partie de 3 coopératives (2 CUMA pour la transformation des fruits et une SICA pour les mises en commun de plantes aromatiques et médicinales.)
La marge va à l’association qui gère le magasin de producteurs, c’est nous et nous seuls qui faisons tourner la structure, avec la marge du magasin.
Par quel biais commercialisez-vous vos produits ? Sur les marchés je suppose ?
Cela a beaucoup évolué. Beaucoup de choses ne me plaisaient pas au début. Je faisais des marchés sur Lyon, car y ayant fait toutes mes études, j’avais encore un réseau de gens là-bas, et j’avais accès à leurs comités d’entreprise. J’envoyais des formulaires à remplir aux gens, et selon leurs besoins je leur préparais des paniers. Ça marchait bien, je travaillais avec des entreprises où les gens gagnaient bien leur vie. Puis l’idée s’est imposée de m’ancrer sur le territoire, et j’ai voulu vendre mes produits à des gens vivant sur place. Mais ce n’est pas simple du tout finalement, et nous avons de grands débats à ce sujet entre collègues, car il faut que nous vivions dignement, mais en même temps on n’a pas envie d’empêcher des gens qui ont peu de moyens, de bien manger ! Donc il y a toujours un équilibre à trouver. J’ai finalement décidé d’arrêter tous les marchés : l’année dernière était la dernière année. C’était beaucoup trop consommateur d’énergie, car les marchés se tiennent essentiellement l’été, et c’est la période où je travaille comme un malade ! Je peux ajouter que vendre mes produits à des touristes uniquement ne m’enchantait pas. J’ai donc intégré des magasins de producteurs sur le territoire, qui sont ouverts toute l’année. La marge va à l’association qui gère le magasin de producteurs, c’est nous et nous seuls qui faisons tourner la structure, avec la marge du magasin.
Concrètement, une Biocoop va se faire une marge de presque 37 % sur mes produits, alors qu’un magasin de producteurs sera à 16 % : cela n’a rien à voir ! Actuellement, je vends toute ma production dans ces magasins de producteurs, qui sont des petites boutiques bien implantées sur le territoire.
Est-ce que les métiers autour des plantes ont un avenir selon vous ?
Je pense qu’il est important que les gens réapprennent à ce soigner par eux-mêmes, à avoir confiance, mais cela demande un réel apprentissage, ce n’est pas parce que l’on vient de faire une sortie botanique, que l’on peut goûter à tout ce qui pousse sur sa route ! Idéalement il faudrait qu’il existe sur les territoires, à l’échelle de quelques communes, des référents vers lesquels se tourner. J’ai beaucoup de mal avec le monde de l’économie, et je n’ai pas envie de capitaliser sur ces savoirs. Tout le monde devrait pouvoir se soigner avec ce qu’il y a autour de soi. Après, s’il y a des compétences un peu plus pointues, pourquoi pas ? Autour de moi, il y a des gens qui ont une vraie expérience, cela fait 30 ans qu’il cueillent, transforment etc. Mais j’aimerais vraiment que ces savoirs-là soient beaucoup plus popularisés. En même temps, si on ne se bat pas pour ces métiers autour des plantes, en face de nous, nous aurons des professionnels, des techniciens, des gros labos, des compétences pharmaceutiques, des brevets, des choses comme ça, et là, on risque de se tirer une balle dans le pied ! Donc c’est compliqué : on aimerait dire, « Je ne veux pas de professionnels des plantes, chacun devrait posséder ces savoirs-là ! » sans que cela serve l’ultra technicité ! Alors évidemment, je préfère que nos métiers autour des plantes perdurent. Ce n’est pas évident. On a proposé des stages pour de la phytothérapie animale. On s’est aperçu très vite que les gens n’avaient ni le temps, ni l’envie de faire eux-mêmes des macérats ou des baumes. Bon, OK. Mais alors la bonne idée ne serait-elle pas simplement de se regrouper afin qu’une personne référente puisse animer un groupe de personnes : sûrement une meilleure idée que de commander en ligne le produit fait par un labo !
Et que pensez-vous de vos interventions devant les élèves de 2e année à l’IFH, ce partage de votre expérience ?
Au début, je ne savais pas trop ce que j’allais raconter, mais en fait le dialogue s’est installé très vite. Ce n’est pas juste Alban Saunier qui parle pendant trois heures. Dans mon parcours, plein de petites choses peuvent interpeller, et finalement, on a un vrai échange ! À chaque fois, je trouve que c’est super intéressant : on n’a jamais le temps de vraiment boucler ! Parce qu’il y a toujours un élève qui questionne sur une plante en particulier, ou une autre élève récemment, qui travaillait dans un labo de pharmacie et qui m’a demandé pourquoi il y avait autant de différences entre tel ou tel flacon d’hydrolat. C’est vraiment plus un échange qu’un témoignage de ma part. Et c’est génial de pouvoir transmettre ça. En plus, ma casquette d’ancien chimiste, avec une vision hyper scientifique, y trouve une utilité dans ces échanges. Je me rappelle de quelqu’un me demandant : « À quel moment récoltes-tu tes feuilles de châtaignier ? » J’ai fait une réponse de chimiste : « Le plus tard possible. Les tanins sont des molécules assez complexes, et il faut attendre. La vraie synthèse des tanins et tellement longue que plus on attend, plus on aura des tanins dans la feuille. » Mais ma réponse d’herboriste est aussi de dire : « Plus on attend, plus la feuille sera grande, et plus elle sera tachée. Ça va donc être compliqué à mettre en tisane, ces feuilles de 25 cm de long… » L’idée est donc de balayer différentes compétences. Il m’arrive également d’accueillir des stagiaires de l’IFH, et j’ai remarqué que certains, qui n’avaient pas fait d’études scientifiques, galéraient en pharmacognosie. Ils ne voient pas très bien pas où cela les mène, ils ne comprennent pas pourquoi c’est groupé selon le type de molécules… mais en fait, concrètement, quand on regarde une plante, cela parle tout de suite.
Après, je dois ajouter, et c’est très important pour moi, que j’ai un attachement de cœur à mon territoire, et à ce qui pousse. Un châtaignier, c’est quand même un arbre qui a été greffé il y a 150 ou 200 ans, une murette, elle a été remontée il y a peut-être 80 ans. Cette transmission là, elle est aussi sensible, nous ne sommes pas uniquement dans le scientifique. Quand on parle aux gens, on peut aussi parler de sensibilité, c’est important dans ce métier-là.
On ne va pas juste faire du business avec ce que la nature nous propose tout autour de nous.
Merci beaucoup Alban.