Après avoir exercé comme auxiliaire puéricultrice, Carine Duthil a décidé de changer de voie et d’ouvrir son herboristerie. Passionnée par les plantes, elle a réussi sa reconversion comme herboriste à Saint-Marcan, à quelques kilomètres du Mont Saint-Michel.
ARH-IFH : Bonjour Carine, comment vous êtes-vous intéressée aux plantes ?
Carine Duthil : J’ai exercé le métier d’auxiliaire de puériculture pendant des années, tout en suivant des formations (licence en psychologie clinique) mais je tournais en rond dans mon métier, je ne m’épanouissais plus… J’ai eu l’opportunité de travailler pour un maraîcher bio. Et là, j’ai mis les mains dans la terre, j’ai commencé à m’intéresser aux plantes sauvages qui poussaient à côté des plantations, j’ai commencé à faire des recherches, et petit à petit, j’ai vraiment commencé à m’intéresser à l’herboristerie.
Y avait-il un intérêt pour les plantes dans votre famille ? Peut-être dans l’enfance déjà ?
Oui, tout à fait, mon grand-père paternel avait un très grand jardin où il y avait toutes sortes de choses ! Des fruitiers, des plantes médicinales, des plantes ornementales, et en fait toute petite, j’étais entourée de plantes quand je passais mes vacances chez lui. J’avais donc effectivement les mains dans la terre, je récoltais avec lui et je voyais ma grand-mère faire toute la transformation ! Mais je me suis faite happer par la vie professionnelle et j’ai coupé ce lien avec la nature. Mais maintenant j’y suis revenue pour mon plus grand bonheur.
C’est l’engagement pris par l’ARH pour la reconnaissance du métier d’herboriste qui m’a plu dans cette formation.
Comment vous est venue l’idée de faire une formation ? et pourquoi à l’IFH ?
Quand je me suis intéressée à l’herboristerie, j’ai étudié quelles étaient les écoles qui proposaient cette formation, et je suis tombée sur le livre de Thierry Thévenin « Plaidoyer pour l’herboristerie » qui m’a vraiment dirigé vers l’IFH. C’est l’engagement pris par l’ARH pour la reconnaissance du métier d’herboriste qui m’a plu dans cette formation, et évidemment le programme, qui permet d’acquérir les bases en herboristerie pratique. Tout ce qui est botanique, chimie, écologie, pharmacognosie, anatomie… c’est cela qui m’a confortée. D’un point de vue plus pratique le fait qu’il y ait deux sessions dans l’année, c’est assez important quand on est en reconversion professionnelle, parce qu’il arrive qu’on ait des projets, et c’est dur d’attendre encore une année pour s’inscrire, cela peut sembler trop long, alors qu’avec deux sessions, c’est beaucoup plus pratique. L’ARH est en Ardèche et l’environnement géographique est assez idéal aussi ! cela incite à s’y inscrire ! sans parler de l’enseignement à distance qui permet de conjuguer une vie professionnelle et une vie familiale. Et puis j’aimais bien que l’IFH propose des stages, et un regroupement au mois de janvier pour revoir la remise à niveau. Si on a des difficultés, on n’est pas lâchés.
Que s’est-il passé juste après la fin de cette formation en 2021 ? Comment s’est passée la création de votre activité ?
J’ai suivi et je continue à suivre d’autres formations sur l’herboristerie, (anglo-saxonne, alchimie végétale…) parce qu’il est important de se former, de faire le lien entre les nouvelles recherches scientifiques et les traditions ancestrales.
Pour la création d’entreprise j’ai eu la chance de rencontrer une conseillère Pôle emploi qui m’a bien épaulée. Mon projet stagnait un peu, ce n’est pas évident de se lancer et de se dire, « Tiens, je vais monter mon entreprise ! » Elle l’a bien compris et m’a proposé une formation de dirigeante de TPE-PME à l’Institut Le Keréden en Centre-Bretagne, j’y suis partie pendant cinq mois. J’étais accompagnée de professionnels et j’ai travaillé sur le thème de la création d’entreprise, du management, des ressources humaines, de la comptabilité et à la fin de cette formation, au bout de cinq mois, je suis passée devant un jury de trois chefs d’entreprise pour présenter mon projet. Ce passage là était important pour moi parce que les trois professionnels qui allaient juger mon projet, n’avaient aucun lien avec l’herboristerie, et avaient donc un regard extérieur. Ils ont validé mon projet, et quelques semaines après, je me suis lancée, j’ai ouvert mon auto-entreprise et très vite j’ai démarré les marchés. C’était en juillet 2022.
Partenariat avec des producteurs de PAM bretons.
Avez-vous eu des contacts avec d’autres administrations, d’autres institutions, qui auraient pu vous aider, à part Pôle emploi ?
Non, Pôle emploi a suffi. Ce qu’ils m’ont proposé a vraiment correspondu à ma demande. Plus tard, quand j’ai démarché pour faire les marchés d’été, j’ai eu un bon accueil, et du public et des maires des villages qui soutiennent vraiment les initiatives locales. Je pense qu’il y a un besoin de redynamiser le territoire actuellement, et les élus sont très réceptifs à ce genre d’activité.
Donc votre activité a démarré très vite et très bien ?
Oui tout à fait ! Quand j’étais sur les marchés, j’ai eu un très bon retour des gens, parce que je pense qu’il y a un besoin réel de se tourner vers les produits naturels et locaux. Les gens ont vraiment besoin de contact et de conseil. La pandémie a vraiment laissé des traces : le « tout Internet » n’est plus possible. On sent chez eux l’envie d’avoir un interlocuteur en face, qui va pouvoir les conseiller. Ils ont besoin d’une sécurité au niveau de leurs achats et au niveau local, ça leur assure une traçabilité ! Nous sommes un peu les interlocuteurs des producteurs, on est là pour dire à la clientèle « Je connais le producteur, je sais comment il travaille, je vous garantis donc la sécurité des produits.»
C’est important pour le consommateur.
Pourriez-vous me présenter votre structure, et les produits que vous vendez ?
« L’Herboristerie de la Baie » est une petite échoppe qui est dédiée au végétal. Je propose des tisanes simples, composées et personnalisées. Il y a aussi des huiles essentielles, des bourgeons de plantes, des alcoolatures, des macérats huileux et également des accessoires pour les infusions. Actuellement je travaille avec une céramiste bretonne sur la création de tasses où les dessins seront des plantes médicinales. Mon objectif à plus ou moins long terme est de proposer des élixirs floraux, spagyriques, des produits de la ruche et aussi des spiritueux. J’aimerais aussi exposer des artistes locaux dont le travail aurait un lien avec le monde végétal, la nature, notre terroir.
Beaucoup de clientes, jeunes ou moins jeunes, m’ont demandé des ateliers sur le thème du cycle féminin.
Comment communiquez-vous pour justement faciliter les ventes ?
J’ai une page Facebook et j’ai aussi prévu de créer une vitrine sur Internet bientôt. Mais il faut dire que le bouche-à-oreille marche très bien ! J’ai également été aidée par les commerçants de mon secteur géographique. Par exemple le propriétaire d’une petite supérette m’a proposé un petit étal dans sa boutique pour m’aider à me lancer. Son magasin est située sur une route touristique : je n’habite pas loin du Mont-Saint-Michel, et tout prés du GR 34. J’ai quand même eu un soutien des commerçants autour de moi.
Et la fréquence des marchés ? C’est plutôt à la belle saison ?
Oui, en période touristique, ou pendant les vacances scolaires. J’ai commencé en juillet-août, j’ai eu une grosse activité, je faisais trois marchés par semaine ! Ça s’est un petit peu ralenti en septembre-octobre mais avec les vacances de la Toussaint c’est reparti comme en été. Étant située pas loin de Saint-Malo, avec « La route du Rhum », il y avait énormément de monde.
Organisez-vous des ateliers ?
Cela va venir parce que j’ai eu des demandes. Beaucoup de clientes, jeunes ou moins jeunes, m’ont demandé des ateliers sur le thème du cycle féminin, de l’endométriose, du passage à la ménopause qui peut être compliqué. Et en fait, comme je le disais, les gens ont vraiment besoin d’être accompagnés et d’être conseillés. J’aimerais donc bientôt proposer un atelier sur le cycle féminin.
Avec le recul, comment s’est passée votre création d’activité ?
Le fait d’avoir fait une formation auprès de chefs d’entreprise a tout facilité. J’ai eu cette chance d’avoir été accompagnée par des professionnels pendant 5 mois et j’en suis sortie avec beaucoup d’outils. Donc ce n’est franchement pas négligeable. À la suite de cela, j’ai créé mon réseau. Je connaissais déjà des producteurs de plantes aromatiques et médicinales et quand on a un bon réseau et une bonne formation, cela facilite les choses ! Je n’ai donc pas rencontré de difficultés particulières. J’avais une petite trésorerie de départ, ce qui m’a permis de ne pas faire d’emprunt, et si j’ai choisi de faire les marchés, c’est aussi pour cette raison. Je me donne un an pour prospecter ma clientèle et lancer mon activité à moindre frais. L’idée est d’ouvrir une petite boutique et d’y faire des travaux au besoin, grâce à la trésorerie emmagasinée pendant un an, sans être obligée de contracter un emprunt : c’est important pour moi.
Cette boutique, c’est une maison que vous habitez, qui était avant une boutique, et qui a été transformée en espace d’habitation ?
Oui, c’est bien cela. En fait les propriétaires qui nous l’ont vendue l’ont transformée, mais avant c’était effectivement la boutique d’un semencier.
Vous m’avez parlé du rapport avec la clientèle sur les marchés. Avez-vous pu appréhender les attentes des gens qui viennent vous voir ? Est-ce qu’on tourne toujours un petit peu autour des mêmes demandes ?
Les gens qui achètent ont entre 45 et 70 ans, et les problèmes soumis sont très classiques : problèmes circulatoires, digestifs, de peau, stress, gestion du sommeil… Ce sont vraiment les problèmes que l’on retrouve en herboristerie. J’ai aussi quelques jeunes mamans qui s’inquiétent du rôle des perturbateurs endocriniens, qui veulent protéger leurs enfants, et qui se demandent si elles doivent les soigner plutôt par les plantes. Il y a clairement une nouvelle génération qui arrive et qui se préoccupe de cela.
Je pense que l’herboriste est vraiment un artisan du végétal, il fait du sur-mesure pour les gens.
Je suppose que vous faites un petit peu de pédagogie ?
Oui. J’ai envie de dire que quand on est herboriste au comptoir, on est un petit peu éducateur. Par rapport aux problèmes de santé, mais aussi aux problèmes d’environnement. Mes huiles essentielles viennent exclusivement de Bretagne, d’un producteur local : je n’ai pas de plantes exotiques. C’est ce que j’explique aux gens. On en est là, on est au courant de ce qui se passe avec le réchauffement climatique, les restrictions énergétiques, et dans quelques années ça va devenir compliqué de faire venir une huile de Ravintsara, alors qu’on a de très belles plantes au niveau local. C’est ce que je dis aux gens : « Apprenons déjà à utiliser les plantes locales !« . Et j’ai un bon retour : les gens prennent conscience de cela. C’est notre rôle de leur dire qu’il faut tenir compte de notre environnement…
Travaillez-vous avec beaucoup de fournisseurs ?
Oui, je travaille avec pas mal de fournisseurs différents, j’ai un grossiste dans la Drôme, un autre qui est une coopérative de producteurs en Auvergne, et évidemment j’ai des petits producteurs locaux en Bretagne, qui sont en agriculture biologique ou en biodynamie.
Parlez-moi de votre création de mélanges de tisanes ?
Je propose une douzaine de tisanes (relaxation, digestive, féminine, de plaisir…) et je fais également des tisanes personnalisées : c’est ce qui est le plus demandé. Je pense que l’herboriste est vraiment un artisan du végétal, il fait du sur-mesure pour les gens. Pour une même problématique, je vais utiliser des plantes différentes en fonction de la personne. Chaque plante est unique et chaque être humain aussi.
Vous me disiez que les gens venaient récupérer leurs produits chez vous ? Avez-vous un espace dédié pour les accueillir ?
Tout à fait, j’ai commencé à aménager une partie du salon et les gens commencent à venir chercher leurs produits.
Par rapport à la formation de l’IFH, dans quelle mesure vous a-t-elle aidée à concrétiser ou à mûrir votre projet ?
Il y a déjà un socle solide au niveau des connaissances en herboristerie, et cela m’a vraiment aidée. Et il y a les expériences concrètes sur le terrain également, avec les différents stages, parce que l’on doit faire un stage de deux semaines. Je l’ai fait sur deux périodes, dans une herboristerie à Paimpont, et ce stage m’a permis de rencontrer au comptoir des herboristes de différents horizons (France, Canada) et de peaufiner mon projet qui était d’ouvrir une boutique. Et puis j’ai fait aussi un stage d’algologie en Bretagne avec Solange Julien, et là aussi j’ai fait de belles découvertes ! et j’ai envie de dire que l’IFH, c’est aussi une histoire de rencontres, parce que cela m’a permis de rencontrer Cathy Graveline, qui a ouvert il y a deux ans « Achillea, Le Comptoir des Herbes à liste ». (Lire l’interview de Cathy Graveline)Elle m’a bien conseillé pour m’installer. Il y a aussi Eva Fontanille, « Herbes atouts » qui est productrice de plantes aromatiques et médicinales dans le Morbihan… J’ai aussi suivi Ferny jusqu’au Sénat au colloque des métiers sur l’herboristerie. L’IFH, ce n’est pas uniquement des cours.
Comment est perçue votre activité et votre reconversion par votre entourage proche ?
C’est perçu comme positif, et on m’a toujours encouragée à aller dans cette voie, je le vois bien également avec le retour du public. On peut douter et se dire « J’ai envie d’ouvrir une herboristerie, mais qu’est-ce que ça va donner ? » « Vais-je arriver à pérenniser mon activité ? et comment ? » et finalement, quand on entend les gens, on se dit qu’on ne s’est pas trompée de voie, c’est vraiment ça.
Les métiers des plantes ont un avenir selon vous ? Encourageriez-vous quelqu’un qui voudrait aussi faire une reconversion dans ce domaine ?
Oui tout à fait, et justement je vais avoir une stagiaire ! Je sais que d’un point de vue législatif, c’est encore lettre morte pour la certification d’herboriste, et je regrette qu’à l’heure actuelle, l’herboriste de comptoir soit assimilé à un simple commerçant, que nos connaissances et nos recherches ne soient pas assez mises en valeur, mais il faut rester positif, finalement les portes s’ouvrent et je pense que c’est à nous de créer l’herboristerie de demain. Il y a plein de choses à faire. Je reste optimiste car je vois bien que le public est réceptif à ce changement.
Merci beaucoup Carine.